En droit français, lorsqu’une perquisition est effectuée au sein du cabinet ou du domicile d’un avocat, mais également dans les locaux de son client, toute saisie d’un « document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil »1 est illégale et peut être contestée.
Ces deux critères cumulatifs, en vigueur depuis le 1er mars 2022, connaissent deux principales exceptions :
- En premier lieu, le secret professionnel de la défense et du conseil n’est pas opposable aux autorités de poursuite, dès lors qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’avocat d’avoir lui-même commis ou tenté de commettre, comme auteur ou complice, l’infraction ou une infraction connexe à celle justifiant la perquisition2.
- En second lieu, le secret professionnel du conseil est inopposable aux autorités, lorsque ces dernières peuvent établir que les échanges litigieux ont été utilisés par le client pour commettre ou faciliter la commission de certaines infractions fiscales ou financières (fraude fiscale, financement du terrorisme, certains cas de corruption et de trafic d’influence), ou en blanchir le produit3.
Dans ce contexte, la Cour de cassation est tout récemment venue préciser les « documents » ou échanges entre avocat et client qui, en l’état de sa jurisprudence, peuvent être considérés comme « relevant de l’exercice des droits de la défense » et ainsi protégés d’une éventuelle saisie.
1. Le secret professionnel de la défense est circonscrit aux échanges relevant des droits de la défense intervenus postérieurement à la commission des faits susceptibles de violer la loi pénale4…
La Cour a d’abord défini son interprétation du périmètre des échanges couverts par le secret professionnel de la défense sous l’empire de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, en vertu d’un double critère à la fois matériel et chronologique : ne seraient désormais protégés que les échanges entre avocat et justiciable qui (i) relèvent de l’exercice des droits de la défense et (ii) sont intervenus postérieurement aux faits répréhensibles, autrement dit après que le justiciable a commis l’infraction alléguée.
Dans cette affaire, la Haute juridiction était notamment saisie du cas d’un automobiliste ayant pris l’attache de son avocat pour connaître les conséquences de la suspension administrative de son permis de conduire, avant de causer un accident aboutissant à sa mise en cause du chef d’homicide involontaire. La consultation et les éléments sur lesquels elle reposait étaient-ils saisissables et opposables au conducteur mis en examen ?
La Chambre criminelle répond par la positive, en jugeant que :
- « Le conseil pris auprès de l'avocat, avant la commission de l'infraction, a eu pour finalité d'éclairer la personne sur son droit de conduire un véhicule après une suspension de permis de conduire, et »
- « Les éléments qui ont été saisis, en lien avec cette consultation, ne sont pas relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d'une sanction, de sorte qu'ils ne relèvent pas de l'exercice des droits de la défense et pouvaient être saisis. »
Elle paraît ici affirmer que quel qu’en soit l’environnement factuel ou le contenu, les correspondances et consultations d’avocat relatives à la conformité d’une opération peuvent être saisies et exploitées par l’autorité pénale, dès lors que (i) elles ne se rattachent pas directement à une procédure répressive ou, qu’en tout état de cause (ii) elles ont été échangées ou produites en amont de l’exécution de cette opération susceptible de violer la loi pénale.
Un recours contre cette interprétation normative hautement contestable a été intenté par les institutions ordinales devant la Cour européenne des droits de l’homme.
2. Le secret professionnel de l’avocat ne couvre pas les échanges avocats-clients remis « volontairement » par un justiciable au lendemain d’une perquisition de ses locaux5
Lors d’une perquisition, il arrive parfois qu’un justiciable s’engage à remettre un document ou un support de stockage (ex : téléphone, ordinateur, etc.) aux représentants de l’autorité pénale, dans les 24 ou 48 heures suivant la clôture des opérations.
Or, pour la Cour, cette remise effectuée au lendemain de la perquisition doit être tenue pour volontaire, de sorte que les dispositions protégeant le secret professionnel en cas de perquisition ne lui sont pas applicables.
Par-delà les sérieux doutes qu’emporte la qualification ici retenue de ‘remise volontaire’ appliquée au justiciable venant de subir les opérations de saisie, la motivation de l’arrêt témoigne encore, si besoin était, de l’interprétation restrictive aujourd’hui manifestement privilégiée par la Chambre criminelle à l’endroit des textes qui régissent le secret professionnel.
En effet, pour écarter la faculté légalement offerte au client perquisitionné de s’opposer à la saisie d’un document couvert par le secret professionnel de la défense et stocké sur son téléphone portable, la Cour précise « qu’un tel objet ne constitue pas un document au sens de l'alinéa 2 de l'article 56-1 du code de procédure pénale. »
En somme, la saisie du document lui-même pourrait être contestée par le justiciable en vertu de cette disposition, mais pas celle du support sur lequel il est stocké, qui donne pourtant à l’autorité un accès libre à ce document. Comprenne qui pourra…
3. Le secret professionnel susceptible de couvrir des échanges avocat-client relatifs à un litige privé ne peut être opposé aux autorités de poursuite, quel qu’en soit le contexte6
Le Conseil constitutionnel l’avait implicitement retenu, ne relèvent de l’exercice des droits de la défense auquel est subordonnée l’opposabilité du secret professionnel à l’autorité de poursuite, que les « documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d’une sanction »7, autrement dit les échanges intervenus dans la sphère pénale ou quasi-répressive (financière, douanière, fiscale, concurrentielle, etc.).
La Cour de cassation abonde et renchérit, en précisant que les textes internes et européens protégeant le secret professionnel de l’avocat « ne font pas obstacle en eux-mêmes à la saisie d'éléments couverts par ce secret mais dénués de lien avec les droits de la défense ». Elle juge ainsi saisissables les correspondances échangées entre un client et ses avocats en filigrane d’un « litige privé », quand bien même elles pourraient être rattachées à une procédure pénale dans laquelle elle observe que ces avocats n’ont pas assuré la défense de leur client.
L’équipe Litigation and Investigations d’A&O Shearman Paris suit au plus près les développements de cette évolution majeure de l’environnement normatif français. Ses avocats sont à votre disposition pour vous assister en matière pénale, règlementaire, civile et commerciale.
1. Articles 56-1, alinéa 2 et 56-1-1 du Code de procédure pénale.
2. Jurisprudence constante et non codifiée, v. not. Crim., 5 mars 2024, n° 23-80.110, Publié au bulletin, § 12.
3. Article 56-1-2 du Code de procédure pénale.
4. Crim., 11 mars 2025, n° 24-82.517, Publié au bulletin, §§ 27-32, rapport A.-G. Thomas, avis A. Aubert.
5.Crim., 11 mars 2025, n° 24-80.296, Publié au bulletin, §§ 8-14.
6. Crim., 11 mars 2025, n° 23-86.260, Publié au bulletin, §§ 12-17, rapport A.-G. Thomas.
7. C. const., 19 janvier 2023, n° 2022-1030 QPC, § 11.